◊ Pourquoi l’Œuvre pour l’Education Chrétienne a-t-elle organisé ce Cours annuel à l’intention des jeunes de votre âge ? Il n’y a pas de doute que ce soit pour vous encourager à bien poursuivre votre effort dans la formation qui vous permettra de prendre votre place demain dans la société. Mais par-delà cette visée, on peut lire une intention plus profonde dont il est bon que vous preniez conscience.
Les responsables ont constaté, comme nous tous aujourd’hui, le divorce existant entre l’école devenue un lieu de simple transmission du savoir technique et scientifique et la foi. La foi est devenue culture dans le monde gréco-latine antique désormais obsolète. Mais l’Œuvre pour l’Education Chrétienne ne s’est pas résignée à faire ce constat. Il a prévu un Cours pour l’attribution de bourses d’étude qui est comme une ouverture critique de l’Ecole sur les grandes valeurs. Comme vous le savez, mes chers amis, l’homme vit de valeurs qui dépassent la simple réussite scolaire.
C’est dans ce cadre que je suis invité à vous parler de l’un des aspects importants de l’éducation aujourd’hui, à savoir le Dialogue entre des cultures diverses et l’’Education.
Mon message sera en trois points. Avant tout je commencerai par quelques brèves réflexions sur ce que « Education Aujourd’hui » veut dire. Dans un deuxième temps nous nous interrogerons sur ce que signifie « Eduquer à l’ouverture à d’autres cultures que la sienne ». Nous terminerons par un rapide regard panoramique sur l’œuvre prodigieuse que Jean-Paul II a déployée sur un quart de siècle avec les Journées Mondiales de la Jeunesse. Mais ce fut en réalité votre compatriote le Pape Paul VI a avoir mis l’accent sur la centralité de la conscience comme voie de Dieu qui prend l’homme en charge depuis sa naissance et qui fait de l’homme « l’écouteur de la parole » tout au long de sa vie. C’est précisément cela qui fonde l’auto-éducation dont nous parlerons.
Ne soyez pas étonnés que je parle de l’éducation à vous qui êtes encore si jeunes. Le Bienheureux Jean-Paul II a repris la pensée du Cardinal Joseph-Léon Cardijn : « Evangélisation des jeunes par les jeunes ». Et moi je vous suggère de penser à votre responsabilité dans votre propre éducation et dans celle de vos amis, à : « Education des jeunes par les jeunes ». On a d’ailleurs toujours dit : « Toute formation est autoformation ». Vous êtes les premiers protagonistes de votre éducation.
I. L’Education aujourd’hui
L’héritage culturel de l’Antiquité gréco-latine a été assumé par les Pères de l’Eglise. Ils ont reçu la foi judéo-chrétienne dans une culture hellénistique et latine. Ce n’était pas chose aisée. Il n’existe pas en effet d’opération chirurgicale par laquelle on puisse extraire la foi d’une culture pour la greffer dans une autre culture qu’on aura également pris soin de vider de la foi/croyance où elle était enracinée. Une telle opération serait mortelle tant pour la foi que pour la culture. Toutes les cultures en effet jusqu’au siècle des Lumières se présentent enracinées dans une religion et si on peut distinguer foi/croyance et culture, on ne peut pas les séparer.
Les Pères de l’Eglise appartenaient aux anciennes cultures et aux religions qui en constituaient la base. En accueillant la foi chrétienne, ils mettaient leurs anciennes cultures en état de crise. Ils ne partageaient plus tout des anciennes croyances. Vis-à-vis d’elles, ils sont en relation à la fois sympathique et critique. L’ancienne foi-croyance est mise en crise. Cette crise est l’expression de leur conversion, une conversion qui est un acte de liberté, et qu’on ne peut dénier à aucune personne humaine. La foi engendre une nouvelle culture. La personne qui pose un acte décisif de conversion opère un passage vivant et vital de l’ancienne culture à la nouvelle culture qu’engendre la foi. C’est ce qu’on appelle inculturation.
Ce mot « inculturation » signifie le prolongement du mystère de l’incarnation du Verbe de Dieu, qui se fait mystère de l’Eglise.
Quand on considère le fait de la rencontre de deux sociétés, on peut observer qu’il se produit ce qu’on appelle « acculturation ». Ce phénomène ne se limite pas simplement au fait qu’on appelle « emprunt de traits culturels » d’un côté comme de l’autre ; il s’élargit jusqu’au rapport de force entre les deux sociétés. Une situation de domination née de la défaite d’un peuple par l’autre engendre le complexe de supériorité du côté du vainqueur, et corrélativement un complexe d’infériorité du côté du vaincu. Les emprunts de traits culturels deviennent ainsi des lieux de lecture de tous les complexes qui peuvent paralyser le développement des peuples auxquels de graves défaites ont été infligées et qui en ont conçu un complexe, si ce n’est une accumulation de complexes. Je vous parle ici en tant qu’africain. Mon continent a subi la traite, l’esclavage, la colonisation, et subit encore aujourd’hui une forme de néocolonialisme et de nouveaux trafics humains, ceux des femmes et des enfants. Tout cela a engendré beaucoup de complexes!
Quand les Pères de l’Eglise s’appropriaient culturellement la foi judéo-chrétienne par le passage du judaïsme à l’hellénisme et à la latinité grâce à ce que nous avons appelé « inculturation », on a pu voir se produire deux attitudes : l’une sympathique et l’autre critique. La première, c’est une immense sympathie vis-à-vis de leur culture native : toute culture a en effet des éléments positifs qui peuvent servir à l’accueil de la foi. Jésus-Christ est venu révéler le Dieu d’amour à toute l’humanité, mais il l’a fait dans l’espace historique et culturel d’Israël. Saint Paul et Saint Jean, avant les Pères de l’Eglise, ont manifesté chacun à sa manière, la sympathie pour la culture dans laquelle ils ont évangélisé. Cette attitude de sympathie et de critique se retrouvera constamment tout au long de l’histoire du rapport de la foi et de la culture.
En juin 1982, Jean-Paul II a fait un discours important à l’UNESCO. Il a reconnu clairement la valeur de la Science et de la Culture, et même des cultures. Il a insisté sur la nécessité pour les différentes nations de travailler à sauver leurs identités culturelles. Mais il a aussi montré que Science(s) et Culture(s)doivent être reconduites à leur base humaine profonde, afin que de là un projet éducatif soit possible. Une trentaine d’années plus tard, la globalisation a si fortement rapproché les peuples que si urgence il y a, c’est celle de l’éducation à la croisée des cultures. S’est démontrée la vérité de ce que disait le grand pape conciliaire Paul VI, alors Substitut à la Secrétairerie d’Etat, à savoir que « l’Eglise est une institution divine d’éducation ». Jean XXIII l’appelait déjà “Mater et magistra” (Mère et Maitresse)
Vous pouvez, vous devez faire confiance à l’Eglise dans votre formation humaine, spirituelle et morale, surtout à cette heure de la globalisation, où le monde est devenu comme un village planétaire. Grâce aux moyens nouveaux de communication et aux diverses formes de migrations humaines, aujourd’hui, toutes les cultures se touchent au quotidien. Les puissances économiques et politiques qui dominent le monde sont les forces les plus actives à utiliser ces nouvelles opportunités, souvent hélas aux détriments des personnes humaines, notamment des jeunes.
II. Education à l’ouverture aux autres cultures
Dans cette deuxième partie de mon exposé qui sera aussi brève il s’agit de comprendre ce que signifie Education en interculturalité.
De ce que nous avons dit jusqu’ici vous avez pu vous rendre compte que votre éducation de jeunes européens se déroule déjà en situation d’interculturalité, si nous considérons celle-ci en perspective historique. Vous avez vu en effet que l’Eglise en Europe était, surtout depuis Vatican II, en train de passer à une inculturation dans la culture moderne, née en divorce d’avec la foi et avec laquelle elle a été longtemps en conflit. L’Eglise sur votre continent est en train de se réapproprier sa foi dans la culture occidentale moderne qui a délibérément entrepris de s’édifier « comme si Dieu n’existait pas ». Cette situation est très grave, car aucune culture ne peut se construire sans un absolu à sa base. L’absolu est devenu en Occident l’homme lui-même, qui ne connaît aucune autre valeur transcendante, sinon sa propre liberté s’exerçant au gré de ses passions, de sa volonté de puissance, une volonté de puissance qui se laisse balloter entre plusieurs pôles de valeur : le savoir, le pouvoir, le valoir, l’avoir, la jouissance. D’innombrables idoles surgissent. L’argent par exemple est une grande idole, de même le sexe et la domination politique.
Votre éducation se déroule sur cet arrière-fond et au même moment vous êtes amenés à vivre les exigences d’un autre type d’interculturalité que l’on pourrait qualifier de synchronique, puisque le premier type que nous venons d’esquisser sur l’axe historique est une interculturalité diachronique.
Du fait de la globalisation, nous sommes dans une proximité permanente avec beaucoup de types de cultures provenant des autres continents qui ont a leur base des religions différentes : le judaïsme, l’islam, les grandes religions orientales, les Religions Traditionnelles d’Afrique, d’Océanie, d’Amérique. Toutes ces religions se rencontrent et vivent au coude à coude dans leurs fidèles, partout à travers toutes les sociétés du monde. Il convient ici de distinguer deux principes à l’œuvre au cœur de la société occidentale qui a exporté et imposé son modèle partout et veut continuer de l’imposer. Dans mon pays, les sages ont des sentences imagées pour parler de l’homme. Ils le comparent par exemple à l’araignée qui tisse sa toile et qui doit nécessairement trouver un point d’appui. Ainsi ils affirment que « l’araignée ne suspend pas sa toile dans le vide mais toujours à quelque arbre ». Ce qui est ici visé par eux c’est l’impossibilité de l’athéisme. En partant de là on peut dire que le monde occidental a tissé aujourd’hui autour de la planète une toile que les philosophes appellent « noosphère ». L’Occidental qui prétend tisser sa toile autour de la planète sans appui divin est selon les sages de mon pays « un homme insensé ». La noosphère renvoie nécessairement à Dieu. Il ne peut pas avoir de culture sans fondement en Dieu.
Vous jeunes européens, vous devez vous rendre compte que la résistance qu’opposent aujourd’hui les autres peuples à l’Occident est due à son impérialisme qui notamment transpire dans la politique, dans l’économie et même dans la culture. Dans la mesure où il n’a pas suffisamment assimilé l’esprit évangélique qui est tout le contraire d’un impérialisme, l’Occident a porté l’Evangile aux autres peuples avec une tonalité impérialiste. Si cet Occident se reconvertit lui-même à l’esprit authentique de l’Evangile, il a non seulement le droit, mais le devoir de porter le Christ au monde, voire de le proposer comme le point de rassemblement de tous les peuples du monde, comme la plus grande contribution au bien commun de l’humanité. Seul véritable « universel concret », Il est en mesure de se tenir au carrefour de toutes les cultures, là où aucun universalisme abstrait ne peut se tenir, sans exercer une violence impérialiste extrême, ce précisément contre quoi tous les peuples s’insurgent aujourd’hui. Par sa mort et sa résurrection le Christ a déjà fait une première mise de fond pour le rassemblement de toute l’humanité en un seul Peuple, une seule Famille de Dieu, un seul Corps, le sien, qu’on appelle Eglise. Vatican II dit de cette Eglise qu’elle est « le germe le plus fort de l’unité du genre humain ». Retenez cette très belle définition de l’Eglise, mes chers amis, et sachez être fiers d’appartenir à l’Eglise. Beaucoup critiquent l’Eglise sans ménagement, mais se réclament du Christ. C’est là une attitude contradictoire qu’il faut éviter, car vous ne pouvez pas aimer le Christ et démolir en même temps le plus bel héritage qu’il a laissé à l’humanité.
En travaillant à être des membres vivants et crédibles de l’Eglise, vous êtes déjà dans une éducation interculturelle, avec pour mission de bâtir, comme Paul VI – et peut-être avant lui Pie XII - en a inventé l’expression, « la civilisation de l’amour ». Vous voyez quel privilège vous avez, jeunes gens et jeunes filles de Brescia, de recevoir des prix à l’Institut Paul VI dont l’ambition est si élevée.
Vous savez peut-être, chers amis, que le Pape émérite Benoît XVI, un an avant son élection, avait eu un grand débat avec un penseur athée qu’on appelle Jürgen Habermas. Le Card. Ratzinger disait alors à ce philosophe athée néomarxiste qu’il est impossible de construire une société démocratique sans qu’elle ne soit fondée dans la foi en Dieu. Son argumentation était si forte que le philosophe a cédé, mais en critiquant lui aussi les travers que peut connaître la religion. Tous deux sont tombés d’accord pour dire que la raison et la foi sont effectivement deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever jusqu’à la contemplation de la vérité. Mais ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est la conclusion à laquelle Habermas a abouti à savoir que le citoyen athée dans l’Etat libéral moderne n’a aucun droit à confisquer le débat public, mais que le citoyen croyant a un égal droit d’apporter le potentiel de raison que recèle sa religion au bénéfice du Bien Commun et qu’on ne devrait même pas s’étonner qu’on l’y aide.
Si je vous mets au courant de ce grand débat, c’est pour vous inviter à être fiers d’être des jeunes croyants responsables de leur éducation et de l’avenir vers lequel elle les conduit. Une philosophe de l’éducation, Marguerite Léna, a écrit que l’éducation n’est pas « chrétienne » par qualification extrinsèque, mais qu’elle l’est par essence. Son livre, intitulé L’Esprit de l’Education, nous montre que le plus grand philosophe de l’antiquité comme le plus grand de la modernité – à savoir Platon et Rousseau – ont tous échoué dans la proposition d’une théorie éducative applicable pratiquement, parce que l’un comme l’autre réclament un degré 0 de l’éducation, c'est-à-dire des enfants et des jeunes non contaminés par la société. Ce qui est une abstraction introuvable. Seul le Christ est parti de l’homme concret, dans sa condition historique, toujours déjà porteuse de tares. Voilà pourquoi on dit que le Christ est « l’universel concret ». Ce qu’il a fait pour l’humanité dans le mystère pascal, Il le continue en nous du fait qu’Il nous a laissé l’Eglise comme son Corps de Fraternité capable de le prolonger à travers tous les temps et tous les lieux, par l’envoi de l’Esprit-Saint de Pentecôte. L’Eglise ce jour-là a été présentée au monde comme une réalité de grâce interculturelle : « Tous ces gens ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que nous, Parthes, Elamites …. nous les entendions tous proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu ? ».
Il me semble que la meilleure manière pour nous les chrétiens aujourd’hui de contribuer à comprendre et à participer à l’éducation au carrefour de l’interculturel, ce soit de comprendre et de vivre le mystère de l’Eglise, qui nous a été proposé par le Concile Vatican II.
Nous avons donc montré que autant il n’y a pas de culture sans profondeur religieuse, autant il ne saurait y avoir d’éducation sans le Christ, et encore moins d’éducation au carrefour de l’interculturel sans la Communauté interculturelle fondée par le Christ et présentée au monde par l’Esprit de Pentecôte. Celui-ci a vaincu l’esprit de Babel, un esprit qui divise, oppose, rend incommunicable et comprime dans la violence. Face au multiculturalisme de simple juxtaposition des cultures, l’« esperanto » de la monoculture athée niveleuse des différences culturelles qu’on impose à tous, n’est pas une alternative crédible. Il faut le répéter, le simple multiculturalisme des cultures incapables de communiquer ou l’ « esperanto monoculturel » ne représentent pas des solutions viables. L’interculturalité que rend possible l’Esprit de Pentecôte est la seule solution envisageable et qui est déjà donnée.
Nous arrivons enfin à la troisième et dernière partie de cet exposé, où noud voulons nous inspirer des JMJ comme d’un modèle d’éducation chrétienne interculturelle probant.
III. Jean-Paul II et Paul VI: Pour un modèle d’auto-prise en charge des jeunes par les jeunes en matière d’éducation
Dans cette dernière partie nous voulons donc tirer profit du modèle exceptionnel que nous a laissé Jean-Paul II en matière d’évangélisation des jeunes par les jeunes pour indiquer un modèle d’auto-prise en charge de l’éducation des jeunes par les jeunes en contexte de diversité culturelle. Nous avancerons en deux étapes : 1° quel modèle nous proposent Jean-Paul II et Paul VI ; 2° Que pouvons-nous en retenir pour l’Education à l’ouverture aimante aux autres cultures, basée sur l’amour et la docilité à la voix de la conscience qui fait de l’homme un « écouteur de la parole » ?
Le grand Pape, qui a ouvert son ministère de successeur de Pierre avec une encyclique toute centrée sur le Rédempteur de l’Homme (Redemptor Hominis), a indiqué le chemin apostolique que va emprunter son pontificat : l’homme, « première route et route fondamentale de l’Eglise ». L’éducation de la jeunesse d’ès lors lui tient beaucoup à cœur. C’est pour cette raison qu’il a crée le JMJ. A travers la jeunesse la « Croix pèlerine » ira de pays à pays à travers le monde entier. Quand en 1980 il s’est adressé aux représentants des nations, une chose lui tenait à cœur : tracer un chemin qui puisse aider l’institution internationale, l’UNESCO, dans sa mission. Cette mission vise le renouvellement de la société humaine grâce à l’éducation. Science et Culture ont été repensées par lui dans leur finalité qui est l’homme. C’est seulement à partir de là qu’un projet éducatif est possible. Il faut donc partir du principe de renouvellement de l’homme pour pouvoir régénérer la société et le monde. Du coup il va se consacrer lui-même à l’Education de la Jeunesse comme cœur de sa mission apostolique.
Le sujet humain n’est pas comme une plante ou un animal : on ne le développe pas, il se développe. Pour que l’homme grandisse en humanité, il doit se prendre en mains. De là vient l’insistance de tous les éducateurs du monde sur « l’autoformation ». Chez moi on dit « Sε gble vi non ma kplon » (Si le Créateur a gâté l’enfant, la maman échouera dans l’éducation). Les Fon du Bénin savent bien que Dieu lui-même est à l’œuvre dans le cœur de chaque être humain sous la forme de la conscience que chacun entend comme une voix qui lui dit : « Fais ceci ! Evite cela » ». C’est donc l’être humain qui rejette la voix de Dieu qui parle par la conscience. Si le petit d’homme refuse d’obéir à la voix du Sε (Créateur), père et mère ne peuvent qu’échouer à se faire obéir.
L’autoformation dont on parle s’enracine là. Jean-Paul II a voulu, à la suite du Concile Vatican II et de tous les peuples du monde, tabler lui aussi sur le principe que le sujet humain, même jeune et surtout jeune, doit prendre en main sa propre éducation.
Mais Jean-Paul II sait que les parents tout comme les autres instances qui portent la responsabilité de l’éducation ont comme perdu l’autorité sur les jeunes adolescents qui sont pris en charge par l’influence du groupe d’âge. Chez moi les parents avaient aussi conscience de la classe d’âge et notre société avait une institution d’initiation des classes d’âge. Nos sociétés africaines avaient toutes leur rituel d’initiation – souvent très rudes – pour faire passer les jeunes dans la classe des adultes. Tout cela se perd aujourd’hui progressivement : la société ancienne perd le contrôle sur les classes d’âges. Chez vous, le contrôle est perdu et ce sont les moyens de communication, surtout les plus modernes – computer, internet, twitter, réseaux sociaux, etc. – qui vous prennent en charge pour le meilleure et pour le pire. A l’intérieur de la nouvelle culture vous vous prenez en charge comme jeunes, mais ce sont peut-être d’autres qui vous prennent en charge de manière anonyme, en flattant vos instincts à des fins commerciales. Jean-Paul II a voulu prendre en charge la jeunesse du monde que la globalisation a rapprochée. Aucune autorité mondiale ne semble en mesure de prendre en mains l’éducation de la jeunesse livrée à elle-même dans le noman’s land du « village planétaire » qu’est devenu notre monde. L’Eglise qui est pour nous l’autorité instituée par Dieu pour une telle mission est appelée, aujourd’hui plus que jamais à prendre ses responsabilités. Elle est autorité interculturelle universelle parce qu’elle est elle-même interculturelle depuis son origine.
Il est impossible à la jeunesse de répondre d’elle-même en contexte de pluralité de culture sans un maître crédible et convainquant. Jean-Paul II a été l’homme providentiel qui nous a indiqué la voie à suivre et il est important de recueillir son message. Un jeune prêtre africain du nom de Cyrille Miyigbéna vient de soutenir une thèse à l’université salésienne intitulée : L’Expérience spirituelle comme présupposé de l’évangélisation des jeunes par les jeunes dans l’enseignement du Pape Jean-Paul II (1978-2005).
Que l’apostolat des jeunes puisse être confié aux jeunes eux-mêmes, cela suppose nécessairement une expérience spirituelle de rencontre du Christ et d’intimité avec Lui pour ce soit Lui qui envoie les jeunes en mission. C’est ici le point d’enracinement de la conscience que Paul VI – et à sa suite Vatican II – a dénommé le « sanctuaire intérieur » où chaque personne humaine entend la voix de Dieu qui prend en charge tout homme dès sa naissance.
Il faut deuxièmement que ce soit la communauté des jeunes du monde entier à prendre l’initiative d’évangéliser les jeunes. Au carrefour de la pluralité des cultures il faut que les jeunes aient prolongé l’expérience spirituelle avec le Christ par l’expérience spirituelle avec l’Eglise. Une telle expérience est particulièrement sensible à la Pentecôte, où l’harmonie des différences est victorieuse de toute division et de toute violence.
Il faut une communauté internationale vivant d’une interculturalité authentique dont la jeunesse ait pu faire une expérience forte pour que naisse en elle l’appel à aller propager une telle expérience comme forme d’auto-éducation de la jeunesse par la jeunesse dans notre contexte actuel de pluralité de cultures.
Mgr Barthélemy ADOUKONOU
Secrétaire du Conseil Pontifical de la Culture
*Conférence tenue à Brescia (Italie), le 3 juin 2013