Point de vue : l'Egypte, et sa profonde crise économique et sociale
Depuis deux semaines, une vigueur nouvelle semble habiter de nombreux égyptiens, dont
certains demandent ni plus ni moins le départ du président Mohamed Morsi. Mais le
coup de force constitutionnel du chef de l’état islamiste est l’arbre qui cache la
foret : Plus que les blocages institutionnels et l’incertitude sur l’équilibre des
pouvoirs, c’est bel et bien la situation économique et sociale qui est inquiétante.
Décryptage.
« Nous accueillons de plus en plus de monde à la cantine ». Sœur
Amira est religieuse de Saint Vincent de Paul au Caire, et dirige une école de filles
à Abassaya, non loin d’Al Azhar. Son constat est sans appel : l’Egypte s’enfonce dans
la crise et le contexte économique et social s’est dégradé depuis la révolution qui
a fait chuter Moubarak. De fait l’instabilité politique a mis de nombreux investisseurs
en sommeil. La hausse de l’insécurité, dans le Sinaï en particulier et les déclarations
tonitruantes de certains salafistes (interdire le bikini ou même raser les pyramides
car non islamiques !) ont par ailleurs fait fuir les touristes.
Miser
sur l’éducation
Si l’Egypte se cherche politiquement, elle a surtout besoin
de trouver un modèle de développement fiable. Là est sans doute la vraie révolution
pour le pays des pharaons. Celle-ci commence par l’éducation : les écoles ou universités
d’état sont en piteux état, cela se voit à l’œil : vitres cassées, escaliers crasseux,
pénurie de matériel et découragement du corps enseignant payé dans certains cas 15
euros par mois.
« L’expérience sociale des Frères musulmans a suscité de grosses
attentes, mais ils n’ont pas de vision économique claire »explique un expert de la
Banque Mondiale dans le pays. Les nombreuses grèves ouvrières qui ont eu lieu depuis
l’élection de Mohamed Morsi témoignent bien de ce malaise social. Les bailleurs de
fonds du pays souhaiteraient plus investir dans le secteur social, mais se heurtent
aussi à une certaine réticence vis-à-vis de l’étranger, « l’ingérence » étant régulièrement
dénoncée par les plus conservateurs.
Le spectre d’émeutes de la faim
Le
pays est fébrile. Entre deux informations politiques sur le bras de fer entre islamistes
et libéraux se glissent des nouvelles encore plus sombres. Pour la seule journée du
25 novembre, la Bourse du Caire a perdu l’équivalent de 5 milliards de dollars (à
peu près le montant du prêt consenti par le FMI), preuve de cette instabilité profonde
du pays.
« La révolution de la faim couve dans le pays » souligne sans ambages
Ahlem Gharbi, chargé de la politique intérieure à l’ambassade de France au Caire.
Les stocks de blé permettent pour l’instant de tenir trois mois. Dans un pays de près
de 90 millions d’habitants, cette crise est une véritable bombe à retardement.
Olivier
Bonnel
(Photo: une femme et ses enfants devant une boulangerie d'un quartier
popualire du Caire, début octobre)